Le quotidien du médecin consacre un article à la conférence.
Le débat sur le financement et l’organisation du système de santé peine à incorporer d’autres voix que celles des experts et des professionnels. Comment sonder les desiderata des Français lambda ? L’Institut Montaigne a décidé de leur ménager un espace de parole, au travers d’une conférence de citoyens dont les résultats sont en ligne (www.conferencedecitoyens.fr).
Le processus s’est déroulé en plusieurs temps. D’abord, l’institut Harris Interactive a recruté 25 citoyens aux profils variés (la profession et l’âge de chacun n’est pas précisé). Un comité de pilotage s’est ensuite chargé de les former aux grands enjeux du système de santé (Claude Le Pen, Guy Vallancien, Pierre Coriat, Mireille Faugère…). En bout de course, un débat a été mené avec différents acteurs (professionnels de santé, politiques, économistes…). Ainsi « éclairée », qu’a conclu la conférence de citoyens ? Que les bases héritées de 1945 – solidarité et égalité d’accès aux soins – doivent être conservées, mais qu’une révolution s’impose en matière d’organisation et de financement.
Contraintes à l’installation et fin du paiement exclusif à l’acte
Plusieurs pistes de réforme sont préconisées. Certaines reprennent des refrains déjà entendus : mise en place du DMP, intensification de la lutte contre les fraudes, déremboursement d’actes et de médicaments de confort, délégation de tâches… D’autres idées sont plus clivantes. Ainsi l’installation de médecins fonctionnaires dans les déserts médicaux est-elle proposée, de même que l’interdiction de s’installer dans les zones en sureffectifs. L’ensemble du panel s’accorde à dire que le paiement à l’acte seul a vécu, et que les dépassements d’honoraires doivent être limités (et compensés par des revalorisations). Certains citoyens auditionnés estiment qu’il faudrait carrément les interdire.
Promotion des réseaux de santé sous influence ?
L’Institut Montaigne a-t-il un intérêt à promouvoir ce genre de débat citoyen ? La question est posée, à la lecture des commentaires de ce « think tank » d’inspiration libérale, que préside Claude Bébéar, ancien PDG d’AXA. « Si les pistes de réorganisation du système de soins que les citoyens appellent de leurs vœux (parcours de soins et généralisation des réseaux de santé) peuvent leur sembler réductrices de liberté, elles leur semblent acceptables dans la mesure où elles s’inscrivent dans une démarche d’amélioration de la qualité du système et des soins dispensés », lit-on dans le commentaire de l’Institut.
Les citoyens, dans leur avis conclusif, ne font pas uniquement la part belle aux réseaux de santé. Ils réclament aussi la mise en place de parcours de soins coordonnés, et une information « la plus précise possible » sur la performance de tous les établissements de santé et de tous les médecins. C’en est assez pour éveiller les soupçons du Dr Jean-Pascal Devailly, un PH (hôpital Bichat) qui s’intéresse de près à la galaxie des think tanks : « Le « managed care » par les réseaux d’assurance pointe discrètement le bout de son nez », raille-t-il. Les citoyens dénoncent l’opacité de l’information ? Cette opacité « gêne les gestionnaires de risques », poursuit-il sur le même ton incisif. Et le praticien de s’interroger sur l’indépendance du panel de citoyens sélectionné. « Ce public choisi a été formaté en amont par différents « formateurs » tels que Claude Le Pen dont le discours est connu : la crise économique mondiale nous oblige à des choix tragiques, les dépenses sont bien assez élevées comme cela, les médecins « dépassent » trop, les malades « surconsomment », les parcours de soins sont incoordonnés, il faut des réseaux gérés par des gens responsables et qui vont responsabiliser tous les gaspilleurs. Au final, le panel a produit un avis conforme à ce qui a été enseigné selon la pensée unique de régulation et de gestion industrielle de la santé ! »
DELPHINE CHARDON
Cette conférence de citoyens est un dispositif innovant et original qui ne manque pas de surprendre, voire même de déranger. En utilisant cette méthodologie peu connue, l’Institut Montaigne a aussi voulu explorer de nouvelles voies d’actions démocratiques et donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais.
Soucieux de garantir la transparence totale de cette opération, l’Institut Montaigne a souhaité que l’ensemble des formations, des débats et de la rédaction de l’avis par les citoyens eux-mêmes soit intégralement filmé et mis en ligne sur un site internet dédié http://www.conferencedecitoyens.fr. Cette captation vidéo peut témoigner de la loyauté de notre démarche.
Les 25 citoyens ont suivi une formation équilibrée, déployée sur deux week-ends et dispensée par des experts tels que Florence Jusot, Claude Le Pen, Julien Mousquès, Catherine Bungener ou encore Catherine Le Galès et Marie-Aline Bloch présentant des points de vue différents sur le système de santé.
Le panel de citoyens a ensuite débattu publiquement le 8 décembre 2012 avec des représentants de médecins, des économistes, un député (PS), des représentants de patients, des économistes, des consultants en santé etc. représentant également une pluralité de points de vue.
Les 25 citoyens, 14 femmes et 11 hommes, âgés de 25 à 66 ans, viennent de toute la France. Ils ont été recrutés par Harris Interactive en septembre 2012. La composition du groupe reflète la diversité de la population française en termes d’âge, de niveau de diplôme, de métiers (3 cadres du privé, 4 fonctionnaires, 8 salariés du privé, 5 retraités, 1 jardinier, 3 demandeurs d’emploi, 1 étudiante). Afin de garantir l’équilibre dans les débats et d’éviter les représentations d’intérêts corporatistes au sein du groupe, aucun militant politique ni aucun professionnel de santé n’a été sélectionné. Une indemnisation de 500 euros a été remise aux participants à l’issue des trois week-ends.
La conférence de citoyens a été monitorée par un comité de pilotage indépendant et bénévole, réuni dès juillet 2012, et garant du bon déroulement comme de la loyauté de la démarche. Ses membres reflètent une diversité de points de vue sur le système de santé. Il est constitué également de spécialistes de la démocratie participative. En effet, cette conférence de citoyens a été accompagnée par des chercheurs en science politique des universités Paris 1-Panthéon Sorbonne et Paris 8, spécialistes des méthodes de concertation et de participation.
Enfin, un journaliste d’un grand quotidien national a pu être présent pendant l’ensemble des formations, débats ainsi qu’au moment de la rédaction de l’avis. Il a également eu accès à l’ensemble des documents et des échanges entre les participants et les organisateurs.
- Consulter la liste des membres du comité du pilotage, des citoyens et des experts : http://www.conferencedecitoyens.fr/le-dispositif/
- Consulter le programme de formation : http://www.conferencedecitoyens.fr/le-programme-de-formation/