Article de Jean-Baptiste Chastand paru dans le Monde du 17 décembre 2012
Peut-on demander à des Français lambda de décider de l’avenir de notre système de santé ? Oui, a voulu répondre l’Institut Montaigne, think tank libéral, qui a organisé une grande conférence de citoyens cet automne sur ce sujet. Inventées au Danemark, ces réunions rassemblent un panel de citoyens représentatifs pour réfléchir sur une question habituellement réservée aux experts et aux lobbies. Ceux réunis par l’Institut Montaigne ont rendu leur avis jeudi 13 décembre, après trois week-ends de formation et de débat.
Tout a commencé en octobre, dans un hôtel de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise). Les vingt-cinq personnes y ont été réunies pour une formation accélérée durant deux week-ends. A coup de sessions d’une heure et demie réalisées par des chercheurs parmi les plus reconnus en France sur le sujet, ils ont d’abord tenté de comprendre les défis auquel notre système de santé doit faire face. De l’hôpital à la médecine de ville, en passant par le financement, ce fut « intense », confie Catherine Simon, hôtesse d’Air France en préretraite, qui ne cesse de prendre des notes.
Parfois, l’assistance, pas toujours passée par les bancs de l’université, se perd. Pas sûr que les différences entre les systèmes de protection sociale bismarckiens et beveridgiens ont été bien assimilées. Mais quand les milliards défilent, la répartition des ressources, celle des dépenses, les yeux sont grand ouverts. Jamais le mythique trou de la « Sécu » n’est apparu aussi clairement. « Pourquoi ne nous donne-t-on jamais ces chiffres ? », se plaint l’un. « J’ai été choquée par l’ampleur de la dette », renchérit une autre.
Un constat fait réagir : l’inégalité du système. Les écarts d’espérance de vie entre les cadres et les ouvriers, qui ne se réduisent pas, choquent. A l’issue de la formation, la plupart des participants sont d’ailleurs convaincus qu’il est nécessaire de réformer en profondeur le système pour le sauver. Entre les week-ends, les échanges se prolongent par e-mail. « L’Institut Montaigne nous a fait comprendre que notre avis va avoir de l’importance », dit l’un d’eux pour expliquer cet engouement.
Le troisième et dernier week-end, les 8 et 9 décembre, a été le plus crucial. D’abord, les vingt-cinq citoyens ont auditionné pendant une journée des acteurs du système de santé, de Claude Evin, ancien ministre, à Michel Chassang, président du premier syndicat de médecins. Les questions, soigneusement préparées, restent assez sages. Mais une impression se dégage vite : les médecins font l’objet d’une défiance inattendue. « Que peut-on faire pour que l’élitisme des médecins cesse ? », demandera Sophonie Jean. « Pourquoi les médecins n’acceptent pas de déléguer certaines tâches à des professions paramédicales ? », demandera un autre.
Michel Chassang louvoie, quand il ne plaisante pas avec Patrick Pelloux, le médiatique urgentiste, qui déçoit jusqu’à la personne qui avait demandé sa participation. « Il nous a pris de haut », dit-elle. Quand un médecin explique à Pierre Brunet que si aucun généraliste ne veut s’installer dans sa commune de Lavelanet (Ariège), « c’est parce qu’avant d’être un désert médical, c’est un désert tout court », la salle bout. « Pourquoi on oblige les enseignants et les juges à venir, et pas les médecins ? », interpelle l’un des participants. D’autres acteurs, comme l’assurance-maladie ou le ministère de la santé, n’ont envoyé personne.
Les débats les plus rudes sont cantonnés à l’ultime journée. Les organisateurs se sont donné un dimanche pour parvenir à un texte. L’un des participants met les pieds dans le plat en dévoilant une position radicale qu’il avait jusqu’ici plutôt gardé discrète. « Je ne comprends par pourquoi on garde un tel système. La solidarité ne marche plus, je ne veux pas payer alors que je suis en bonne santé », explique-t-il en substance, suscitant la désapprobation de l’immense majorité de la salle. Le désaccord sera acté dans le texte final.
Les animateurs du cabinet Res publica, chargé d’animer les débats, ont tout fait pour cantonner les discussions aux sujets peu polémiques. La suppression de l’aide médicale d’Etat, souhaitée par certains, a été peu débattue. « Je préfère que l’on reste dans un consensus et que les gens continuent à se parler. Le but est de parvenir à un texte commun, ce n’est pas possible si les tensions sont trop fortes », justifie Gilles-Laurent Rayssac, de Res publica.
Une position que ne partage pas Yves Sintomer, chercheur spécialiste de la démocratie participative à l’université Paris-VIII, qui a suivi toute l’expérience. « Laisser le groupe se polariser sur certains sujets aurait pu permettre de prendre des positions plus fortes, quitte à faire voter les citoyens pour établir l’état exact des divisions », explique-t-il. Le texte de 15 pages, finalisé au milieu de la nuit après de longs débats, apparaît assez tiède. Les sujets plus polémiques, comme l’interdiction des dépassements d’honoraires, sont bien souvent minorés par une formulation prudente, à coup de « certains souhaitent » ou de « un peu moins de la moitié d’entre nous propose ».
« Il ressort de ce texte un attachement très fort à la Sécurité sociale, alors qu’on pouvait s’attendre à des positions plus individualistes en période de crise », défend Laurent Bigorgne, le directeur de l’Institut Montaigne. « On ne peut pas attendre de citoyens qu’ils proposent des idées plus neuves que les experts. Le but est de montrer que des personnes dénuées d’intérêts prennent positon sur des sujets qui n’avancent pas. Sur ce plan, c’est une réussite. Si toutes les mesures préconisées aboutissaient, il y aurait un vrai changement du système », abonde M. Sintomer.
Les vingt-cinq citoyens ont des attentes élevées. L’Institut Montaigne a promis d’envoyer leur avis à tous les parlementaires, les ministres et les syndicalistes qui comptent dans le monde de la santé. « J’espère que nous serons écoutés », résume Pierre Brunet. « Le rapport n’est pas un enjeu, c’est surtout la démarche qui compte, il faut faire comprendre qu’il y a d’autres moyens de faire de la démocratie », convient toutefois une autre membre du groupe, Mounya El-Hadeuf, doctorante à Paris. Une position partagée par M. Sintomer, pour qui cette expérience renforce encore sa conviction qu’il existe « d’autres manières de prendre des décisions, qui s’ajoutent à la démocratie représentative ».
Un panel divers mais pas représentatif
Les quatorze femmes et onze hommes « recrutés selon plusieurs critères de diversité » par Harris Interactive pour l’Institut Montaigne sont âgés de 25 à 65 ans. Neuf d’entre eux sont issus de la région parisienne. Le panel compte cinq retraités, trois chômeurs, trois fonctionnaires, une étudiante, mais aussi un jardinier, une directrice de production, une technicienne en informatique. Les professions médicales ont été soigneusement écartées, tout comme leur entourage. Ils représentent également l’ensemble du champ politique. Toutefois, 25 personnes ne suffisent pas pour constituer un échantillon représentatif de la population française.
Par ailleurs, tous répondent régulièrement aux sondages en ligne, c’est par ce biais qu’ils ont été recrutés. Ils ont été indemnisés 500 euros pour leur participation aux trois week-ends, leurs frais de déplacement, de restauration et d’hébergement ont été pris en charge par l’Institut Montaigne, qui a dépensé 200 000 euros, soit 7 % de son budget annuel.