Article d’Isabelle Moreau paru le lundi 28 janvier 2013 – Dépêche n°177957. Avec l’aimable autorisation d’AEF.
« Les bases de solidarité et d’égalité d’accès aux soins sont des fondements à conserver ; en revanche toute l’organisation du système de santé est à repenser » ; « si le financement de la santé est suffisant aujourd’hui, il n’est plus adapté aux conditions socioéconomiques actuelles : il convient donc de repenser l’assiette sur laquelle il est calculé et surtout de mieux gérer les dépenses ». Voilà deux constats formulés dans l’avis de quinze pages sur l’avenir du système de santé français rédigé par la conférence de citoyens (1) et remis à l’Institut Montaigne (AEF n°176269) qui le dévoile, lundi 28 janvier 2013. Les 25 citoyens de tous horizons réunis par l’Institut Montaigne afin de leur donner la parole sur le thème : « Quel système de santé voulons-nous et comment devons-nous l’utiliser et le financer pour qu’il soit viable ? » ont également formulé des pistes de réforme pour faire évoluer le système qu’ils jugent à bout de souffle. Il plaident pour un développement du DMP, une limitation des dépassements d’honoraires, une extension des réseaux de soins aux médecins et hôpitaux par les complémentaires, la création d’un statut de médecin fonctionnaire dans les déserts médicaux ou un regroupement des différents régimes de sécurité sociale.
« DES ACTES MÉDICAUX ISOLÉS ET PAS TOUJOURS COORDONNÉS »
Ayant « compris qu’il n’existe pas de parcours de santé en tant que tel » et constatant que « les actes médicaux sont isolés et pas toujours coordonnés », ils préconisent pour assurer un meilleur suivi des patients et éviter la redondance des actes, le « décloisonnement des différentes professions médicales et des différents services (ville / hôpital) et la coopération entre les professionnels de santé ». Ces derniers devraient, selon eux, « notamment s’appuyer sur le DMP (Dossier médical partagé) afin de rendre le système plus efficace, plus coordonné et plus économique ».
La délégation des tâches aux autres professionnels soignants (infirmières, orthoptistes…) figure également dans leur proposition, tout comme la recommandation que « la rémunération des médecins ne dépende pas uniquement du paiement à l’acte, mais soit complété par d’autres formes de rémunérations prenant en compte l’ensemble de leurs fonctions (forfait, capitation) ». Ils ajoutent que « les dépassements d’honoraires doivent être limités et compensés par des revalorisations du paiement des actes médicaux. Certains d’entre nous pensent même qu’il faudrait tout simplement interdire les dépassements d’honoraires ».
« DES MÉDECINS FONCTIONNAIRES » POUR LES DÉSERTS MÉDICAUX
La conférence des citoyens souhaitent également que « les complémentaires étendent les réseaux de soins aux médecins et aux hôpitaux » et préconise comme pistes possibles pour lutter contre les déserts médicaux : « des médecins fonctionnaires pour ces territoires, la multiplications des maisons de santé, la contractualisation avec les étudiants en médecine pour qu’ils s’installent dans les zones en sous-effectifs ».
Estimant que le système de santé est « trop hospitalo-centré » et « ne correspond pus à nos besoins », ils considèrent que « la multiplication des actes chirurgicaux en ambulatoire doit se développer. Néanmoins, un manque de coordination entre les professionnels assurant le suivi à domicile ralentit le processus. Réorganiser les soins entre l’hôpital et la médecine de ville (notamment en repensant le recours aux urgences) permettrait à l’hôpital de se recentrer sur ses missions premières, notamment le service public. Ce recentrage s’inscrirait dans une meilleure répartition des prestations entre hôpital et clinique privée. Cela permettrait une rentabilité des deux types de structures, tout en assurant une meilleure qualité de soins ».
« REGROUPER LES DIFFÉRENTS RÉGIMES DE SÉCURITÉ SOCIALE »
Si le financement de la santé est qualifié de « suffisant aujourd’hui » par les 25 citoyens interrogés, il n’est, selon eux, « plus adapté aux conditions socioéconomiques actuelles ». C’est pourquoi ils préconisent « de repenser l’assiette sur laquelle il est calculé et surtout de mieux gérer les dépenses ». Outre des efforts de gestion, ils suggèrent pour certains d’entre eux de « renforcer les contrôles de ce que font les professionnels de santé et les patients » pour éviter la fraude et éviter le « gaspillage, notamment en ce qui concerne les médicaments qui ne sont pas consommés mais aussi les prescriptions abusives ou inutiles ». Ils jugent par ailleurs « utile de regrouper les différents régimes de sécurité sociale pour simplifier et optimiser les dépenses : il y a trop d’acteurs à trop de niveaux administratifs dans un système trop lourd et trop de lois à trop court terme ».
En termes de financement, et compte tenu de la conjoncture actuelle, « alléger les charges du travail nous semble indispensable. L’idée de moins taxer le travail est très largement partagée au sein du groupe. Il conviendrait d’élargir l’assiette du recouvrement à condition qu’il soit plus juste », précisent-ils, sans pour autant trancher entre une hausse de la TVA et une hausse de la CSG. « Pour certains, la CSG semble plus adaptée qu’une augmentation de la TVA car elle semble pouvoir rapporter plus et être plus juste. D’autres au contraire accepteraient une augmentation de la TVA, considérant la CSG comme un impôt injuste », indiquent-ils dans leur avis. Par ailleurs, un peu moins de la moitié d’entre eux propose « le déremboursement d’actes et de médicaments de confort jugés inutiles ou inefficaces ».
« ÉTUDIER LE BOUCLIER SANITAIRE »
Ils souhaitent par ailleurs que « le bouclier sanitaire soit étudié, de manière à renforcer la justice concernant le reste à charge ». Et pour quelques-uns d’entre eux, « minoritaires, le bouclier sanitaire aurait pour fonction aussi de faire des économies et de limiter le rôle des complémentaires santé ». Ils plaident également pour plus de transparence. « Nous souhaitons connaître et que soient affichés les coûts de fonctionnement et d’investissement du système de santé, ainsi que le coût individuel de la santé » et « demandons, d’une façon générale, plus de transparence et plus d’accessibilité (et de lisibilité) concernant le budget et les financements de la santé », écrivent-ils. Enfin, leur avis déplore un déficit d’information sur la santé et place la prévention au cœur du système.
(1) Fréquemment utilisées dans les pays du Nord de l’Europe ou au Canada, les conférences de citoyens permettent d’associer les citoyens au débat public comme à la prise de décision politique. Pour l’Institut Montaigne, les citoyens ont été recrutés par Harris Interactive et l’ensemble du processus a été délégué à Res publica, entreprise de conseil en stratégie et ingénierie de la concertation, qui a animé les formations, les débats ainsi que la rédaction de l’avis citoyen. D’octobre à décembre 2012, les citoyens ont préparé et rédigé, à l’issue de trois week-ends de formations et de débats, un avis proposant des pistes de réforme de notre système de protection sociale et de son financement.
(2) Retrouvez sur le site dédié à cette expérience, un documentaire en caméra embarquée auprès des 25 Français, choisis pour leur représentativité, réunis à l’occasion de la conférence de citoyens organisée sur le système de santé français.